Le manuscrit inachevé – Franck Thilliez – Fleuve Editions, Mai 2018.

Ce beau mois de Juillet me donne l’occasion d’enchaîner deux romans à la suite de Franck Thilliez : j’ai choisi Le Manuscrit inachevé et Il était deux fois. L’un ne va pas sans l’autre et les lire dans le désordre serait un beau gâchis… Si dans une autre vie, Mr Thilliez avait été prof de math, et que dans cette même autre vie, j’avais été son élève, j’aurai sans aucun doute travaillé at apprécié à fond cette matière! Car Franck Thilliez sait manier à merveille les équations, d’un tout nouveau type : « thrillesque », « thilliesque », complexes et captivantes en somme… Quelle lecture ! Ultra-passionnante, vertigineuse et terriblement ténébreuse dans tous les sens du terme.

La construction du Manuscrit inachevé est insolite, voire même diabolique. Le récit est une mise en abyme : l’auteur Franck Thilliez écrit un roman sur un auteur de thriller, Caleb Traskman, qui écrit un roman sur une auteure de thriller, Léane Morgan. Mais le manuscrit écrit par Traskman est inachevé et découvert quelques mois après sa mort par son propre fils. Pour éditer tout de même le roman, le fils est obligé d’en écrire lui-même la fin… Que raconte donc ce fameux Manuscrit inachevé par Caleb Traskman ?

Célèbre écrivaine de thrillers connue sous le pseudonyme d’ Enaël Miraure, Léane Morgan voit sa vie bouleversée par l’enlèvement de sa fille. Quelques années plus tard, son mari dont elle est séparée, devient amnésique suite à une violente agression sur une plage, tout près de leur villa située à Berck-sur-Mer. A des centaines de kilomètres de là non loin de Grenoble, une voiture volée dévale une corniche au terme d’une course poursuite avec la police. Dans son coffre, le cadavre d’une jeune femme. L’enquête est menée par un duo d’enquêteurs aussi atypique que le roman dans lequel ils prennent vie: Vic, le cérébral, soufre d’hypermnésie (faculté de ne rien oublier) et Vadim, le fonceur intrépide, ne tarderont pas à faire le lien entre les deux affaires.

Les thèmes chers à l’auteur sont présents : outre les troubles de la mémoire (deux personnages de ce roman en sont atteints), Thilliez se penche ici sur le travail d’écrivain en évoquant à mots couverts ses craintes, ses doutes: les idées qu’a un écrivain sont elles bien les siennes ou ont-elles été lues par le passé, puis oubliées et réapparues subitement comme une idée originale ? Franck Thilliez parsème son ouvrage d’hommages à ses premières inspirations : Conan Doyle, Maurice Leblanc et Stephen King. Les lieux comme à son habitude sont fascinants et nous baladent entre la mer du Nord (le fort d’Ambleteuse à la merci des marées…), l’ardente Grenoble et les ténébreux massifs alpins (la sombre atmosphère du mystérieux massif de Belledonne…). L’intrigue est alambiquée à souhait : comment faire plus retors ? Pas de spoil, tel est ma devise, mais sachez que Franck Thilliez fuit la simplicité, il préfère la multiplicité et nous dévoile donc (sous nos yeux ébahis et notre cerveau disloqué) un récit complexe, d’une habileté sans pareille et d’une noirceur abominable.

Cher lecteur, ne songez pas un seul instant à vous reposer en abordant ce roman: vous devrez non seulement batailler pour ne pas en perdre une miette mais tenter d’élucider les énigmes jalonnées par l’auteur : à commencer par cette première phrase du roman de Caleb Traskman « juste un mot en avant : un xyphophore« … et autres palindromes ou successions de lettres dissimulées dans des phrases pour former d’autres phrases… Mais comme Franck Thilliez le suggère, vous pourriez aussi être victimes de misdirection… 😮. Le résultat est grandiose, parfait mais perturbant et déroutant à plus d’un titre: Franck Thilliez ou l’art du thriller scientifique. Chapeau bas.